C’est en notre qualité de membre de l’Association Handi-Vox-Vaud que mon épouse et moi-même, en plein accord avec notre fille, portons à votre connaissance notre témoignage sur ce qu’elle a vécu au sein d’une institution Vaudoise. Ci-dessous nous la nommerons d’un nom emprunt « Marie ». Nous ne nommerons pas l’institution.

Je me permets donc de vous raconter l’histoire de Marie, qu’elle a vécu du printemps 2014 au printemps 2017 au sein de cette institution.

En 2011, nous sommes en famille en Afrique où nous avons créé et exploitons une petite entreprise dans le tourisme. Notre fille est avec nous. Bien que souffrant d’un handicap mental moyen, elle participe à la vie de l’hôtel, vit avec nous la table d’hôtes … Elle est heureuse, mais elle voudrait un « vrai travail, avoir un chez elle et trouver un compagnon de vie ».

Anciens du social, à nos prochains congés sur le canton, nous prenons contact avec des institutions et commençons les visites. Toute la démarche s’interrompt car peu avant une intégration dans un appartement protégé elle ne peut plus marcher et après une hospitalisation en urgence au CHUV, le diagnostic de sclérose en plaques est posé.

Toute la procédure de placement s’arrête. Suivie par le CHUV, médicamentée, nous retournons avec Marie en Afrique. Les séjours s’y écourtent car la chaleur ne convient pas à la maladie de notre fille et il lui faut un suivi au CHUV.

Mais elle reste avec son désir d’émancipation. Marie veut reprendre les démarches pour trouver son chez elle, malgré la SEP. La place en appartement protégé n’est plus adaptée aux difficultés qu’engendre la maladie. Un nouveau service est créé au niveau de l’Etat, le DCISH. Il est géré au sein de Pro Infirmis. Il doit évaluer une situation et proposer une solution. Nous rencontrons un assistant social de ce service, qui procède à cette évaluation et qui nous accompagne dans la recherche d’une institution.

Avant que ne se déclare la SEP, notre fille avait visité une institution qui l’avait conquise par l’espace des ateliers, le choix des activités. Nous reprenons contact avec cette institution.

Mais il n’y a pas de place au niveau de l’hébergement. Une idée se développe avec l’assistant social du DCISH :  Marie pourrait fréquenter les ateliers de l’institution et avoir un hébergement dans une autre.

Une réunion de travail a lieu en novembre 2013 entre les deux institutions en présence de Marie, de sa maman et de l’assistant social qui représente le DCISH pour organiser et coordonner les transports, les budgets …. Surprise, les trois personnes de l’institution, le responsable de l’hébergement, celui des ateliers et l’assistante sociale ne sont pas là pour organiser et coordonner entre les deux institutions, mais pour convaincre Marie qu’il est préférable pour elle de ne pas venir aux ateliers et d’attendre dans l’autre institution quand il y aura l’hébergement assuré.…

Marie tiendra 10 jours dans cette autre institution qui n’est pas « équipée » pour prendre en charge 24h/24 une personne souffrant d’un handicap mental. Marie nous rejoint à nouveau en Afrique.

En mai 2014, enfin une place se libère dans l’institution choisie. Nous prenons l’avion… Le rapport du DCISH est sans équivoque, il demande un minimum d’activités en ateliers et un accompagnement socioéducatif pour les activités que Marie utilise comme arme contre la SEP, le Yoga, le Reiki … A cette occasion, nous avons rencontré pour la première fois, le directeur et nous lui avons fait part de notre ressenti : « il semble que vous ayez deux institutions, une mauvaise – en faisant référence à la réunion manquée de novembre 2013 – et une bonne – en faisant référence cette fois à la qualité de l’accueil que nous avions ressenti aux ateliers et à l’hébergement lors de l’admission »

Résidants en Afrique, la première séparation est assez longue, de ¾ mois, puis jamais plus de deux mois et demi ou trois. Il est convenu avec le secteur de l’hébergement que Marie nous atteindra par mail ou Skype. Elle dispose de son ordinateur et de sa propre connexion à Internet. L’équipe éducative peut également nous atteindre. La SEP ne leur fait pas peur et Marie pourra rester sur ce groupe qui est avant tout, pour l’ensemble des résidents, un accompagnement à la vie. C’est ainsi que nous est présenté le groupe de vie.

Une première difficulté, la référente de Marie est licenciée !

C’est un éducateur, qui devient référent. Tout semble aller bien… mais voilà que Marie – qui voudrait rencontrer un compagnon pour la vie – vit ses premières relations amoureuses et son premier abandon.

C’est la deuxième épreuve : elle se sent trompée, utilisée et … il n’y a aucun accompagnement de l’équipe éducative au niveau affectif. Quand elle est prise de sanglots, c’est un résident qui la raccompagne … Quand sur l’étage elle crie à son ex-copain qu’elle veut une explication, qu’elle tambourine à sa porte, elle est enfermée dans sa chambre par deux éducateurs : elle dérange ! et c’est l’un deux qui se fait le messager du « petit copain » et lui annonce la rupture !

A notre retour d’Afrique, nous devrons insister pour qu’un test du SIDA soit effectué.

Nous téléphonons, nous envoyons des mails pour que notre fille que nous sentons très fragilisée puisse recevoir de l’aide. Cette aide est mise en place, une fois par semaine elle rencontre une spécialiste du « groupe amour » …  Quasi rien au niveau éducatif ! Pensez-vous qu’une personne atteinte d’un handicap mental moyen puisse intégrer un énorme chagrin d’amour à raison d’une fois par semaine sans être repris par un ou une éducatrice de confiance ? Mais il est vrai, qu’un éducateur du groupe est tout à fait opposé à ce qu’une personne handicapée puisse vivre des rapports intimes….

La troisième difficulté, le changement de référence qui a lieu au printemps 2016. Il est justifié par les soins corporels demandés par la SEP qui évolue. Elle est confiée à une jeune éducatrice en formation, avec l’accord de Marie. Mais rapidement, elle éprouve des difficultés à la comprendre. Elle ne se sent pas comprise. Ses demandes de mise en place du Yoga, du Reiki, armes contre la SEP, ne se font pas. L’éducatrice met en question les choix de Marie.  Celle-ci verbalise à l’éducatrice ses désaccords et son incompréhension. Elle demande de revenir à son ancien référent. Alors commence une avalanche de petites phrases, plus assassines les unes que les autres :

  • Est-ce que c’est parce que l’éducatrice a la peau basanée que tu ne la veux plus ? (Il faut prendre en compte le fait que Marie a plusieurs amis africains et qu’elle se sent insultée…)
  • Si tu n’es pas contente tu peux rentrer chez tes parents.
  • Je ne répondrai pas à ton père

Tous nos efforts pour stopper cette escalade et qu’une confiance renaisse échouent. Les éducateurs « n’ont jamais dit ça », c’est une invention de la part de Marie, décrite dans la réévaluation du DCISH par un éducateur comme une « visiteuse plaignante ». A partir de là, la parole de la personne handicapée n’a aucune valeur. C’est une menteuse ! Plus que cela, elle trahit son groupe de vie et met en danger la place de travail des éducateurs. Elle a de moins en moins de contact avec les autres résidents. Lors d’un entretien avec le responsable de l’hébergement, Marie entend cette phrase : « Tu veux que je licencie l’éducateur ? »

À la suite d’une visite de sa tante sur le groupe de vie, nous apprenons que Marie se tait dès qu’un éducateur ou un autre résident s’approchent. Nous prenons la décision de retirer en urgence notre fille de cette institution. Elle est en dépression et a perdu 5 kg lorsqu’elle nous rejoint avec son frère.

Pour nous il est évident que la dynamique de cette institution est mortifère. Pourquoi ? Qu’avons-nous constaté :

Lorsqu’un éducateur est « en faute » comme

  • Mettre plusieurs mois à organiser une inscription au Yoga ou au Reiki
  • Demander à une personne handicapée si elle est raciste pour expliquer un échec éducatif
  • Refuser de répondre à des parents
  • Ne pas avertir le service médical des douleurs liées à la SEP
  • Ne pas tenir compte de la présence demandée des parents par une résidente pour un colloque

Il s’en sort par des mensonges ! Au lieu de s’excuser, de reprendre avec la personne concernée la problématique pour une compréhension mutuelle, c’est le déni de la parole de la personne handicapée qui est mis en avant.

Pourquoi ces mensonges ? tout simplement pour se protéger d’une direction vécue comme dangereuse qui a le pouvoir de licencier. Il y a un accord tacite au niveau de l’ensemble de l’équipe éducative pour se protéger les uns les autres.

Quel est le mode de faire de la direction ?

Lorsque nous rapportons au Directeur les paroles de l’éducateur : « si tu n’es pas contente tu peux rentrer chez tes parents », celui-ci se déplace avec nous pour rencontrer Marie à l’atelier protégé pour l’assurer qu’elle a toute sa place dans l’institution. Et nous le remercions chaleureusement de son action personnelle. Il nous assure de son soutien et nous encourage à lui téléphoner directement en cas de souci depuis l’Afrique.

Mais dans la vie de tous les jours, sur le groupe, rien ne change, Marie est toujours la « visiteuse plaignante », celle qui a trahit ! et le travail que confie la Direction à ses chefs de service pour régler le problème ne se fait pas. Marie contacte l’assistant social du DCISH qui l’avait accompagnée dans sa recherche d’une institution. Celui-ci va se livrer, conformément à son cahier des charges, à une évaluation du placement… elle sera bien utile pour la suite de notre histoire. C’est là que nous apprendrons que Marie est vécue comme une « visiteuse plaignante » par le secteur éducatif.

Marie entend des phrases du responsable de secteur du style : « Tu veux que je licencie l’éducateur auteur du si tu n’es pas contente tu peux rentrer chez tes parents » », ou « si c’est un problème avec l’équipe, je ne peux pas t’aider… »

Ces phrases sont incompréhensibles pour nous. Notre compréhension s’éclaircira lorsque nous apprendrons qu’une autre enquête est ouverte concernant un autre groupe de vie. Deux équipes éducatives remises en question, c’est trop pour l’image de l’institution !

Les rapports provenant de l’atelier, du CHUV, de la thérapeute qui montrent une tout autre image de notre fille ne sont pas pris en compte. Cette dernière, dans son rapport explique pourquoi Marie s’est retournée vers nous pour se protéger n’ayant pas trouvé une personne de confiance sur son groupe de vie, affirme qu’il serait négatif de la transférer dans un groupe de polyhandicapés. Tout cela ne compte pas au regard de la protection de l’image institutionnelle. C’est le projet institutionnel pour notre fille : la déménager dans un groupe de polyhandicapés…

Lorsque nous tentons à plusieurs reprises de joindre le Directeur par téléphone depuis l’Afrique, la situation de Marie se dégradant de plus en plus, il sera injoignable. 10 fois nous l’avons appelé, plusieurs mails envoyés et … rien !

C’est le frère de Marie qui va intervenir et prendre sa sœur pour nous la ramener en Afrique. Taxi – train – avion !

Ce n’est pas la première fois que son frère intervient.

En effet, alors que Marie est convoquée à une synthèse qu’elle refuse de vivre sans un accompagnement de sa famille – ou nous devrons menacer par mail de demander l’intervention de la gendarmerie si on l’oblige à être présente à cette réunion – son frère pour être très clair vient la chercher pour passer l’après-midi avec elle à l’extérieur sur le temps de cette réunion. Il sera interpelé au téléphone par l’éducateur, puis devant le refus du frère de ramener sa sœur pour cette réunion, se verra raccrocher au nez ! Il est vrai que la convocation s’est muée en invitation …

Nous retrouvons nos enfants, soulagés de voire notre fille souriante, même si elle a maigri…

Nous avons suivi toute l’évolution de la situation dans cette institution. Mais c’est peu à peu que Marie va se livrer et raconter. Et un fait va tout déclencher. Marie nous raconte que les derniers jours, elle s’est retrouvée seule sur son étage, sa voisine ayant été déplacée parce que dérangée par Marie. Et elle essaye de ne pas dormir, elle entend des bruits, elle a peur car les éducateurs ont la clé de sa chambre, ils pourraient venir lui faire du mal, alors elle sort de sa chambre pour vérifier le plus souvent possible.

Nous conscientisons que notre fille a failli devenir folle sous les pressions psychologiques subies.

C’est inqualifiable et nous décidons de porter plainte auprès de la COP (Commission des plaintes) à l’Etat.

Marie demande des excuses… Nous avons du matériel, les dires de notre fille, les mails échangés avec l’institution … le rapport du DCISH, le rapport joint à notre plainte va s’épaissir.

Et va commencer un parcours du combattant.

Et une énorme déception concernant la commission des plaintes. L’évaluation du DCISH est ignorée, la COP ne se prononçant pas sur la qualité de la prise en charge. La parole de notre fille, comme la nôtre d’ailleurs ne pèse pas grand-chose à comparer aux écrits des éducateurs fidèles à l’approche qualité… et à la protection qu’ils se doivent.

Pour votre information, Marie est restée avec nous en Afrique et à repris des forces jusqu’en mai 2017, puis nous sommes tous rentrés en Europe. Marie, accompagné par nous, le DCISH et le responsable éducatif du Département, a trouvé un nouvel hébergement et un cadre de vie en novembre 2018 dans une nouvelle institution dans le Nord Vaudois. Elle y est heureuse, même s’il a fallu du temps pour que sa crainte que « ça recommence » s’apaise.

Mais nous n’avons pas accepté que la Commission des plaintes écrive dans son prononcé :

« Si elle constate que le respect du droit au conseil et à l’assistance … a été violé dans le cadre de sa prise en charge au sein de l’institution …  La commission considère qu’il ne se justifie pas de prononcer une sanction à l’encontre de … » Pour nous, c’est un déni de justice, c’est une enquête à charge contre notre fille et à décharge de l’institution. Surtout ne pas faire de vague !

Je n’ai pas crainte d’écrire ici que la présidente de cet organisme, qui porte plusieurs casquettes tient un rôle important dans ce déni de justice.

À la suite de notre recours, le 16 septembre 2021, La Cheffe du département, annule la décision de la COP et inflige un avertissement à l’institution.

Le 3 novembre 2021, le Président du comité de l’institution refuse de recevoir Marie pour lui présenter des excuses et nous écrit son désaccord avec la décision de la cheffe du Département

Le 21 mars 2022, Mme Ruiz, Cheffe du département, reçoit Marie qui pourra expliquer – à sa manière – son vécu dans cette institution. Enfin, elle a été reconnue et sa parole prise en compte. Tout à l’inverse de la visiteuse plaignante décrite par les anciens éducateurs. En fin de rencontre, Marie s’adresse à la Cheffe du Département en disant : « si j’avais su j’aurai téléphoné »

Madame Ruiz lui demande : A qui ? et Marie de répondre : A vous !

Le 1 avril 2022, nous avons adressé un courrier au Président du comité de l’institution et aux membres de son conseil pour leur écrire notre déception et nos craintes pour l’avenir de leur institution. Nous avons décrit le vécu de notre fille :

  • Angoisse, injustice, considérée comme raciste, mise à l’écart, « C’est parce qu’elle est basanée que tu ne la veux pas ? » lorsque Marie remet en question l’éducatrice de référence qui « ne me comprend pas et que je ne comprends pas »
  • Mensonge de la part d’éducateur : « je n’ai jamais dit ça »
  • Non-accompagnement lorsqu’elle a sa première relation intime avec un jeune pour qui ce n’était qu’une rencontre d’un soir et que Marie crie son indignation et sa tristesse. Elle est enfermée dans sa chambre car elle fait trop de bruit
  • Mobbing, « si tu n’es pas contente, retournes chez tes parents »
  • Irrespect quand ses difficultés sont parlées devant plusieurs éducateurs et copains.
  • Plusieurs mois d’attente (8) pour mettre en place des activités pour lutter contre la SEP.

Dans un premier temps nous avons essuyés un refus, puis devant notre détermination, la nouvelle Direction, le Président et trois membres du conseil, nous ont reçus en février 2022. Après un long échange, chacune de ces personnes s’est adressée à Marie en commençant par : « je suis désolé ».

Grace à eux, Marie a tourné la page.

Les parents le 25/10/2022